Pourquoi les suspects de crimes de droit commun et de crimes internationaux doivent-ils être présents lors de leurs procès?
Par Eugene Bakama Bope
Avec le procès qui devrait débuter dans quelques semaines, ceux qui suivent le cas du vice-président kenyan, William Ruto, devant la Cour pénale internationale, attendent avec impatience la décision cruciale de la Chambre d’appel concernant la présence continue de ce dernier à son procès. Le 18 juin 2013, la Chambre de première instance V (a) s’est écartée des bases juridiques en dispensant M. Ruto, de manière conditionnelle, d’une présence continue à son procès à La Haye afin qu’il puisse remplir ses fonctions d’État – une décision qui “autorise l’absence de M. Ruto à la quasi-totalité de son procès”. Le 20 août, la Chambre d’appel a suspendu la dispense de M. Ruto jusqu’à ce que les juges rendent publique leur décision finale sur cette question, et ce faisant, a ordonné la présence du vice-président au procès qui commence le 10 septembre.
La décision de la Chambre de première instance viole aussi bien le sens originel que le contenu sous-jacent du Statut de Rome, et va également à l’encontre des principes de justice à l’égard des victimes et de l’accusé. De ce fait, et dans l’intérêt de la justice, la Chambre d’appel devrait revenir sur la décision de la Chambre de première instance et obliger Ruto à assister à la totalité de son procès et ainsi faire face à la Cour et aux preuves qui sont présentées contre lui.
Dispenser Ruto de présence à son procès viole expressément plusieurs dispositions du Statut de Rome, et va à l’encontre du contexte historique du Statut.
L’article 63(1) du Statut de Rome énonce clairement que “l’accusé est présent à son procès”, indiquant ainsi une obligation positive de présence physique au procès, et non une simple possibilité. Il est bien établi que le mot “est”, dans le contexte légal, implique aussi bien le devoir que l’obligation, ce qui renforce la clarté de l’article 63 (1) concernant la présence de l’accusé au procès. Il découle d’une étude historique du Statut de Rome que les rédacteurs avaient rejeté toutes les propositions de dispense de présence de l’accusé au procès, y compris la notion de procès par contumace. Les deux seuls scénarios que les rédacteurs du Statut de Rome ont envisagés pour que l’accusé puisse échapper à son obligation de présence devant la Cour sont, 1) quand l’accusé est considérablement perturbateur, ou 2) quand l’accusé choisit de renoncer à son droit d’assister à la procédure préliminaire.
L’article 27 exige que le Statut de Rome s’applique “à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle“. Ainsi, il est erroné d’excuser Ruto du fait de ses nouvelles fonctions. Bien que l’importance du rôle du vice-président du Kenya ne soit pas contestée, le Statut de Rome et la CPI ont été précisément établis pour combattre l’impunité et poursuivre les personnes en position d’autorité.
L’exception accordée à Ruto met également en péril l’intérêt des victimes des violences postélectorales survenues au Kenya en 2007-2008. Ces dernières attendent en effet depuis plus de cinq ans que la justice fasse son travail. La plupart d’entre elles et la majorité des Kényans voient dans la CPI l’organe le plus approprié pour poursuivre les responsables des crimes post-électoraux. Priver les victimes de l’opportunité de voir l’accusé à son procès pourrait avoir des conséquences néfastes sur leur confiance dans le processus de recherche de la vérité et dans la capacité de la Cour à tenir les accusés responsables de leurs actes.
Au-delà du cadre légal de la CPI, le droit fondamental et l’obligation d’un accusé d’assister au procès sont inscrits à l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, complété par plusieurs autres dispositions cruciales concernant le droit à une procédure régulière et le droit à un procès équitable. De très nombreux cadres juridiques nationaux, dont celui du Kenya, transposent les principes sous-jacents du PIDCP. L’article 50 de la Constitution du Kenya dispose qu’un accusé a le droit “d’être présent lorsqu’il est jugé”. Il est important de noter que les circonstances dans lesquelles certaines juridictions autorisent l’accusé à ne pas être présent au procès sont très limitées, à savoir : quand il existe un droit à une nouvelle procédure de jugement ; quand un défendeur abuse de son droit de présence à travers un comportement fortement perturbateur si bien qu’il est contraint de quitter la salle d’audience afin d’assurer que le procès soit rapide et équitable ; ou, dans des cas très limités, quand l’accusé renonce explicitement et volontairement à son droit à être présent, ce qui n’est permis, la plupart du temps, que dans les tribunaux internationaux ad hoc dont les compétences ratione materiae et ratione temporis sont limitées.
Mahmoud Cherif Bassiouni, expert en droit pénal international, a réfléchi aux relations complexes entre le droit de présence au procès et d’autres droits qui participent à un procès équitable, notant que la présence d’un accusé au procès constitue “un élément important du droit de se défendre contre des accusations criminelles… [et est liée à] l’hypothèse selon laquelle l’aptitude de l’accusé à faire face… aux juges et à l’accusation ajoute à la crédibilité des procédures et renforce l’établissement de la vérité”. De même que la CPI, la plupart des juridictions nationales et internationales rejettent les procès par contumace parce qu’ils sont fondamentalement injustes, du fait de l’impossibilité d’une participation effective du défendeur à son procès et à la présentation d’une défense adéquate.
En conséquence, afin d’assurer des procès équitables et de respecter les principes de justice, il est impératif que les accusés de crimes de droit commun et de crimes internationaux soient présents au procès. Le vice-président William Ruto ne devrait pas faire exception à cette règle.
Monsieur Eugene Bakama Bope est le président du Club des Amis du droit du Congo (Congolese Friends of the Law Club).